Je m’appelle Güney Degerli, et aujourd’hui, le ministre de l’intérieur, d’une parole plus lourde que le silence, a souillé mes parents. Je suis né à Mende, en 1989, dans un pays qui, peu à peu, a appris à ne plus reconnaître une partie de ses enfants. Ce même pays, mon pays, a confié son destin à des hommes qui, dans leur étroitesse d’esprit, se sont mis à trier, à rejeter ceux dont la seule faute est d’avoir cru en lui. Mes parents, immigrés depuis plus de 35 ans, eux, n’ont jamais baissé les bras. Leur dos courbé sous le poids des heures au chantier ou à nettoyer les lunettes des toilettes d’hyper marché, ils ont offert leur jeunesse, leur santé, pour que mes frères et moi puissions marcher sur un sol qu’ils ont enrichi de leur sueur. Eux qui ne ‘’sont rien”. Et pourtant, je pense à tous ces visages de travailleurs que l’on croise avant les aurores dans les transports en commun, à ces mains fatiguées qui, depuis des décennies, bâtissent en silence, que l’on traite comme des citoyens de seconde classe dans leur propre maison. Ils sont là, dans les secteurs que l’on dit « essentiels », ceux que nul ne veut toucher, mais sans lesquels rien ne tiendrait debout.
Je suis français grâce aux immigrés que j’appelle maman et papa. Et aujourd’hui, j’ai honte. Honte de voir que des millions d’immigrés soient traités ainsi, honte que leurs sacrifices soient effacés par des mots qui trahissent le destin commun auquel je m’accroche, malgré tout.
La réalité c’est que plus de 30 % des Français ont, par leurs aïeux ou leurs unions, un rapport personnel à l’immigration ; c’est autant de personnes que Bruno Retailleau a souillées par ses mots.
L’immigration nourrit la terre de France, lui offre des bras, des esprits, des âmes prêtes à bâtir, à servir. Dans les hôpitaux, dans les restaurants, sur les chantiers où s’élèvent nos villes, ce sont eux, les invisibles, qui maintiennent le fragile équilibre d’une nation en manque de souffle. Les immigrés ont toujours eu un apport positif à l’économie française. L’OCDE nous éclaire sur certains points : la France compte 12,2 % d’immigrés sur l’ensemble des travailleurs, tandis que l’Autriche en compte 23,6 %. Ils contribuent à un apport de 0,3 % fiscal net par an. Leurs mains sont celles qui ont participé à bâtir le passé, mais elles sont aussi celles qui soutiennent notre présent. La France se situe en queue de peloton en Europe dans l’accueil des migrants, avec 5 % des demandeurs d’asile enregistrés dans l’UE, soit trois fois moins que nos voisins allemands, bien loin de cette paranoïa expliquant la submersion immigrationniste de la France.
Mais au-delà des chiffres, au-delà des colonnes froides des tableurs, il y a l’humain. La France, ce vieux pays, est en train de se renier. Où est passé ce pays des droits de l’homme, proclamé haut et fort à l’international ? À Calais, les tentes sont lacérées sous les ordres du pouvoir, les bateaux de ceux qui fuient la misère sont percés, sombrant dans des eaux noires. Cette terreur se déroule bien sur la terre où est enterré Missak Manouchian, Marie Curie et d’autres illustres immigrés.
Le discours du ministre de l’Intérieur, dans un échange du troisième type sur LCI, est une énième preuve de la déliquescence de notre pouvoir, adoptant le champ lexical de l’extrême droite, où l’immigration porte son costume habituel, celui du bouc émissaire. La pièce de théâtre se joue sans accroc depuis 40 ans par nos plus grands tragédiens : Pasqua et la fin du droit du sol, Chirac avec un sens de l’odorat qui ferait pâlir les plus grands chiens de chasse, Sarkozy et son sens du phrasé digne des plus grands classiques de rap : “La France, tu l’aimes ou tu la quittes”, et enfin Gérald Moussa Darmanin, qui se fait plus royaliste que le roi. Tel un marronnier d’un JT du 20h sur la rentrée scolaire tous les mois de septembre, nos représentants surfent sur le discours de la peur et de la menace. Ils l’agitent, encore et encore, sans jamais se fatiguer. Depuis des décennies, la même rengaine résonne, celle d’une France submergée, envahie. Mais quelle France ? Celle où Marine Le Pen explique que la réforme sur l’immigration de 2023 est une victoire idéologique.
Derrière ce ballet idéologique se joue une dimension civilisationnelle où la déshumanisation des immigrés est le paravent utilisé par les gouvernants pour se délester de toute responsabilité face à l’échec actuel de notre système mondialisé. Cette instrumentalisation est orchestrée sur trois niveaux. Un discours politique et médiatique qui s’acharne sur cette catégorie fragile de la population, justifiant toutes les persécutions et les suspicions, sans aborder les contributions positives de l’immigration. Une essentialisation des immigrés, les réduisant à une masse indistincte et menaçante, en faisant fi de la grande diversité des profils et des parcours, cherchant à abolir la pluralité et à nier l’individualité au profit d’une masse uniforme. Enfin, la restriction de leurs droits fondamentaux, comme la suppression de l’aide médicale d’État, la fin du droit du sol automatique ou la facilitation des expulsions, participe également à leur déshumanisation.
Aujourd’hui, 46 % des immigrés possèdent un diplôme équivalent ou supérieur au bac, et leur impact dans la recherche est crucial, avec 35 % des doctorants venus d’ailleurs, apportant à l’effort commun. Ne laissons pas des gouvernants en manque de lumière, déshonorer l’histoire de la France et sa richesse multiple depuis ses origines.
L’immigration est une chance, une force vive qui irrigue les veines de notre pays et fait le lien entre les peuples. Mais il faut le dire, le crier, car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement une politique, ce n’est pas seulement une économie. Ce qui se joue ici, c’est l’âme même de notre nation. Est-elle prête à se faner dans un égoïsme stérile, ou choisira-t-elle de revivre à travers les hommes et les femmes qui, depuis des siècles, viennent enrichir son sol, son histoire, sa culture ? Au Panthéon reposent ceux qui, nés ailleurs, ont façonné la France, 19 en tout. Ils sont la preuve que cette terre tient sa richesse dans ce mouvement permanent du vivant. L’immigration est une chance pour la France.
G.D.
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