Quel est votre prénom?

{Article initialement paru sur libération le 17 aout 2024}

Lorsqu’on rencontre une personne pour la première fois, après le prénom, le réflexe immédiat est souvent de demander sa profession. Habitus pavlovien de nos sociétés occidentales, où chaque individu est réduit à sa fonction, à son rôle économique. Signe de la proéminence de l’économisme de nos sociétés, qui infuse tous les aspects de notre existence, nos débats publics sont saturés de discussions interminables sur la dette publique, les coupes budgétaires, les investissements à privilégier, les rendements attendus, la consommation des ménages… Dites-moi combien vous gagnez, et je vous dirai où vous vous situez dans l’échelle sociale.

Avant d’être Français, gardiens d’un pacte social, défenseurs d’un destin commun, nous sommes avant tout perçus comme des agents économiques dictés par une logique froide et calculatrice. Cette machine économique, omniprésente, s’infiltre même dans nos processus électoraux, réduisant nos choix à une question de conformité avec les exigences des marchés financiers et des institutions supranationales. La dernière campagne législative en est un exemple éclatant, où l’on nous a demandé de voter en fonction des contraintes budgétaires dictées par l’Union européenne. Encore une fois, nos institutions démocratiques se plient aux exigences de l’économie.

Que l’on approuve ou non cette réalité crue, l’homo economicus se doit de travailler, générer des revenus, consommer, investir, s’endetter, rembourser, procréer. S’écarter de ce schéma, c’est risquer l’ostracisme, car notre valeur sociale semble n’exister que dans notre conformité à ce modèle. Cette dure réalité est renforcée par les discours politiques qui, à l’instar de la maxime présidentielle, rappellent sans cesse que les devoirs précèdent les droits. 

Face à cette situation, quelle voie adopter à court terme? La réponse est là, simple et répétée depuis des décennies par les Français : le pouvoir d’achat. Au cours des trois dernières années, l’inflation a augmenté plus rapidement que les salaires, tant dans le secteur privé que public. Selon les données publiées par Eurostat depuis 2021, les prix ont grimpé de 15,1% tandis que les salaires du privé n’ont progressé en moyenne que de 11%. Creusant un écart significatif entre le coût de la vie et les revenus. Il semble qu’inscrire la proposition de réforme du SMIC à 1600 € est une première réponse à une nécessaire dynamique de hausse globale des salaires en France.

Il est évident qu’une telle mesure nécessite une planification soigneuse et une application progressive, surtout pour les entreprises les plus vulnérables. Cependant, affirmer que cette augmentation salariale entraînerait la faillite de milliers d’entreprises et détruirait des centaines de milliers d’emplois est une absurdité. Des économistes tels que Mathieu Plane, Éric Heyer, ou Yannick L’Horty (3) (4) démontrent que la hausse du SMIC est largement compensée par des réductions de cotisations patronales pour les salaires compris entre le SMIC et 1,6 fois le SMIC. En termes concrets, pour un chef d’entreprise, la hausse du smic est compensée par une réduction des cotisations patronales des bas salaires. La France a tellement additionné les dispositifs d’allégements sur les bas salaires que lorsqu’on augmente le SMIC, les entreprises voient leur masse salariale baisser sur les salaires les plus faibles (de 1 à 1,6 smic).

Les 3 secteurs les plus exposés sont la restauration, les services administratifs de soutien et les services aux personnes (2). Dans mon entreprise, qui opère dans ce dernier secteur, où les marges sont faibles et où il est difficile de recruter et de fidéliser les employés, une hausse du SMIC permettrait de renforcer la fidélité des salariés et d’améliorer leur pouvoir d’achat, ce qui, en retour, stimulerait la consommation. Les restaurateurs, par exemple, seraient bénéficiaires de cette hausse de pouvoir d’achat des bas salaires qui n’épargnent quasiment pas.

Après une enquête menée au sein de mon entreprise (PME de 35 salariés), demandant aux salariés s’ils préféraient de meilleures conditions de travail ou une augmentation de leur salaire. Sans surprise, 100% ont choisi une augmentation de salaire. Bien sûr, il ne s’agit pas de caricaturer ce résultat ; nous devons tous collectivement travailler pour améliorer les conditions de travail des salariés en France. Mais à court terme, les salariés ont besoin d’une hausse de leur pouvoir d’achat pour assurer une vie plus digne, et éviter les angoisses financières en fin de mois. Dans une société régie par l’économie, le salaire demeure le critère principal, et c’est par sa revalorisation que nous pouvons redonner un souffle de dignité à ceux qui en sont privés.

La froideur du récit économique nous impose une réalisation partielle de notre potentiel individuel et collectif, dépassé par des enjeux civilisationnels, asservis dans un continuum court-termiste où l’important est de survivre. La hausse globale des salaires est une respiration, qui devra être suivie d’une amélioration globale des conditions de travail. 

G.D.

  1. (https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/products-euro-indicators/w/2-31072024-ap
  2. https://www.strategie.gouv.fr/point-de-vue/professions-salaries-voisinage-smic-lepreuve-de-crise-sanitaire
  3. https://www.jstor.org/stable/3503140
  4. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/12-2012-1.pdf

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